Chaque mois, quelques clés musicales à partager

Avril 2015

Clé de sol : Qui êtes-vous dans la Passion selon Saint Jean de Bach ?


C’est l’une des œuvres musicales les plus jouées à cette période de l’année. Longtemps dans l’ombre de sa jumelle, la Passion selon Saint Matthieu,la première des deux Passions connues de Jean-Sébastien Bach est ma préférée ; j’ai envie de vous faire goûter son mélange de force dramatique et d’intimité.

  • Le drame d’un homme seul face à la foule

Jean-Sébastien Bach la compose comme le couronnement de sa première année de Cantor à l’église Saint-Thomas de Leipzig en 1723. Fervent chrétien, la mise en musique de la Passion du Christ sauvant l’humanité, représente pour lui l’aboutissement de sa mission de musicien au service de l’œuvre de Dieu. Aujourd’hui, comme l’écritJohn Eliott Gardiner : « Si pleine dans sa grandeur, sa cohérence et sa conviction lyrique, la musique de Bach a prouvé qu’elle pouvait survivre au passage du temps et franchir toutes les frontières, les confessions ou les absences de croyances » (1)

  • La force de l’identification

D’autant que le récit de cet homme porteur de sérénité sacrifié à une foule haineuse, opposition dramatique et intemporelle s’il en est, Bach le traite avec tous les moyens d’écriture de l’opéra, ce que n’est pas cet ouvrage destiné à l’exécution dans les lieux du culte. Ses contemporains lui ont violemment reproché ce mélange des genres. Pour vous donner quelques clés d’écoute, je choisis de me concentrer sur des moyens que Jean-Sébastien Bach met en œuvre pour nous permettre, nous auditeurs d’une lointaine époque tant par rapport à la composition de l’œuvre que par rapport aux faits historiques, de nous identifier aux principaux personnages et de faire nôtre ce récit.

  • « Je suis le Récitant » ou l’identification au témoin

Dans cet oratorio pour solistes, chœur et grand orchestre, le premier personnage, le plus présent, est le Récitant, voix de ténor contant le texte de l’Évangéliste dans un style de récitatif – un chanté parlé. L’expressivité de la musique de Bach pour suivre les mouvements d’intonation de la parole nous prend tout de suite comme au début d’un grand roman, nous entendons la voix de l’écrivain à la première personne. Voici sa première intervention, dans une très belle version de l’Ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon en concert à Saint-Denis (vidéo jointe à 12mn17). Ce style de déclamation proche de la parole, Bach lui donne une telle densité, avec soudain une vocalise pour renforcer un mot important – ici les larmes de Pierre après son troisième reniement (32’20)- qu’insensiblement nous nous identifions à ce personnage, nous devenons témoins oculaires.

  • « Nous sommes la foule » ou l’identification aux participants

Bach confie au chœur la part la plus importante de l’œuvre :

  1. D’abord avec le très dramatique chœur d’entrée qui joue le rôle d’une ouverture à l’opéra (4’30) auquel répond en miroir le poignant chœur final Ruht Wohl (Repose en Paix) (1h54’39)
  2. Au-delà de ce rôle formel, le chœur représente durant toute l’œuvre la foule vindicative, les acteurs principaux du drame, dans un style concis, rapide, incisif : la voici qui dénonce Jésus de Nazareth (13’19), la voici qui demande avec férocité sa mise à mort (1h13’09)
  3. Enfin Bach confie à ce même chœur des Chorals qui traduisent le sens affectif du spectateur du drame. La louange de la bonté du Père (O grosse Liebe 14’36) ou la compassion et la stupéfaction face aux souffrances de Jésus (Wer hat dich so geschlagen 29’31). A l’époque de la création, il est possible que les auditeurs chantaient les mélodies très connues de ces chorals, devenant de facto des acteurs de la Passion. En confiant au même chœur le rôle des accusateurs et celui des commentateurs horrifiés, Bach énonçait un message religieux : « chacun de nous est à la fois juste et pêcheur ». Message d’une telle modernité que nous l’entendons toujours de façon aussi directe : le XXème siècle nous a bien appris que les victimes pouvaient devenir auteurs d’atrocités, que les bourreaux étaient aussi des victimes.
  • « Je suis, tu es, il (elle) est le soliste » ou l’identification aux commentateurs
Bach écrit d’autres commentaires émotionnels pour un quatuor de solistes. Comme à l’opéra. Apportant ainsi une grande variété expressive au déroulement de la Passion. En s’adressant à nous, de façon encore plus personnelle, par ces voix individuelles. Nous participons à la rédaction d’un récit qui traverse les siècles. Bach y compose certains de ces passages les plus émouvants. En voici quatre exemples :
  1. La soprano chante la joie de suivre la voie que l’on s’est choisie, avec deux flûtes entrainantes (22’42)
  2. Le ténor, l’âme désemparée devant la violence (33’14)
  3. L’alto, le double accomplissement de la mort et de la victoire sur la mort (1h28’46), avec l’utilisation de la viole de gambe imitant le ton éploré de la voix humaine
  4. La basse en dialogue avec le choeur, les interrogations humaines face à la mort (1h37’27)

  • La sérénité d’un homme seul face à la foule

Jésus est bien sur scène. Un rôle de récitatif, comme le Récitant, mais confié à une voix de basse. Dernier effet dramatique voulu et réussi par Bach : au cours de la Passion, nous ressentons que toute l’œuvre est bâtie sur l’opposition entre la férocité du nombre et la sérénité de l’homme sacrifié. (Ses derniers mots : Mère, voici ton Fils 1h24’06) Scandale ou consolation ? La Passion selon Saint Jean s’inscrit dans cette grande famille des « musiques qui guérissent » en nous plongeant dans toutes les grandeurs, les drames, les épreuves et les ressorts de l’âme humaine.

  • Vraiment pas un opéra ?

La force dramatique des Passions de Bach est telle qu’à intervalles réguliers, des metteurs en scène se risquent à des versions scéniques. Aucune d’entre elles ne s’est encore imposée. Peter Sellars, Simon Rattle et l'Orchestre de Berlin en ont donné l’année dernière une des plus convaincantes.

Clé de Fa : Pourquoi la musique ? de François Wolff


  • Un OVNI vient de paraitre chez Fayard. Le profil de l’auteur, professeur d Philosophie à Normale Sup, est de nature à effrayer plus d’un « honnête homme amateur de musique ». La surprise n‘en est que plus réjouissante. Après nous avoir autorisés à sauter les paragraphes que nous pourrions trouver top techniques, l’auteur nous emmène avec passion, clarté et un grand sens didactique – Vive les grands profs ! – dans des questionnements aussi inattendus qu’incontournables : Comment la musique touche-t-elle notre corps et notre esprit ? Par quels mécanismes avons-nous le sentiment de comprendre la musique que nous entendons (même quand nous n’y connaissons rien à la technique) ? Quelles émotions la musique est-elle capable d’exprimer ?

  • D’autant qu’un lien internet avec des exemples musicaux permet de donner de la chair à cette brillante œuvre d’une vie. Les premières pistes devraient achever de convaincre ceux qui doutent encore : Patti Smith comme Rigoletto de Verdi, un vieux blues comme le Boléro de Ravel, un flamenco comme des sonates de Mozart, un raga indien comme du Steve Recih.

Clé d’ut : 5 Perles sur le net






  • Une création contemporaine dans la tradition ancestrale du Gamelan : Synesthesia par Gamelan Dharma swara

(1) John Eliott Gardiner Musique au Château du Ciel (Flammarion)






Guy Perier

Chef d'orchestre § Orchestrateur de Leadership




Sur des enjeux de leadership ou de cohésion d’équipes, notamment multiculturelles, j’accompagne dirigeants et managers dans un double objectif : des performances individuelles et collectives plus généreuses.

Guy Perier


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