L'acoustique symphonique : un modèle d'intelligence collective ?

Publié le 21 jan. 2015
L’ouverture de la Philharmonie de Paris met bien en évidence les deux niveaux d’intelligence collective dont a besoin la musique symphonique pour nous émouvoir : le jeu des musiciens,l’acoustique de la salle.

Afin d’y voir plus clair dans cette discipline mystérieuse, l’acoustique des salles de concerts, un parcours synthétique des enjeux et solutions recherchées . Et des enseignements à tirer pour la performance collaborative des équipes.

Des enjeux qui se complexifient à l’infini


  • On pense parfois que les théâtres antiques représentent la perfection de l’acoustique. Qui n’a pas fait l’expérience d’écouter du haut des gradins d’Epidaure, une pièce de monnaie tomber au centre de la scène, et d’entendre très distinctement ce son cristallin. Leur taille conduit à les utiliser aujourd’hui, à Vérone, à Orange,comme des lieux propices aux opéras les plus spectaculaires : Aïda avec défilé d’éléphants, Nabucco et sa Marche des esclaves.

  • Et pourtant une surprise nous y attend : ce qu’on entend le mieux, ce ne sont pas les tutti les plus grandioses. Mais bien plutôt les moments d’intimité : Mimi dans La Bohème chantant toute seule, très doucement, juste soutenue par une ligne de violons. L’acoustique des théâtres grecs est une réponse magique pour porter le son de l’époque : une voix unique, ce qu’on appelle la monodie en musique.

  • La musique occidentale est devenue progressivement, depuis le moyen-âge, polyphonique, avec superposition simultanée de plusieurs voix.Depuis le XVIIIième siècle un degré de complexité supplémentaire s’est imposé : la constitution de l’orchestre symphonique, avec la juxtaposition d’instruments aux registres sonores extrêmement variés, la douceur intime des flûtes comme la puissance métallique des trombones.

  • Les défis posés à l’acousticien moderne sont donc plus complexes puisqu’il lui faut toujours concilier des impératifs contradictoires. Un son à la fois riche – magnifiant les couleurs instrumentales et la fusion orchestrale – mais en même temps précis – bien entendre chacun des pupitres. Nous avons tous fait l’expérience de concerts dans certaines églises à la réverbération tellement forte que la musique devient inintelligible ; ou bien des théâtres à l’acoustique tellement claire que tout sonne « plat ». Mais aussi une acoustique qui porte avec douceur les instruments solistes mais sans saturer dans les tutti. Sans compter le besoin de salles de plus en plus grandes mais qui donnent néanmoins un sentiment d’intimité aux auditeurs. A tel point que le grand acousticien japonais Yasuhisa Toyota – l’un des concepteurs de la Philharmonie de Paris - donne cette définition de sa mission : « l’art d’abolir la distance entre musiciens et public ». Mais sans sonorisation !

7 critères acoustiques à concilier pour réussir une salle de concert symphonique


Si depuis l’antiquité les architectes ont appliqué des savoir-faire importants pour la construction des lieux de musique, ceux-ci n’étaient qu’empiriques. Ce n’est qu’au cours du XXième siècle que l’acousticien Leo Beranek a mis au point une batterie de critères nécessaires pour réussir une salle de concert. (1) Les voici, non pour entrer dans un discours technique, mais parce que de leur lecture, s’impose de lui-même le constat qu’il n’y a pas de formule magique et que l’acoustique d’une salle de concert est forcément un compromis très savant. Un des critères de l’intelligence collective.

  1. La réverbération : le temps que les ondes musicales prennent pour se répandre dans toute la salle. Plus la salle est grande plus le temps est long. Plus le son est riche aussi mais avec des risques de saturation en cas de pièces aux tempis très rapides ou aux contrastes dynamiques très accusés.
  2. La sensation de puissance : la possibilité pour tous les auditeurs de bien entendre tous les instruments.
  3. La sensation d’espace sonore, qui différencie les ondes réfléchies par les parois de la salle de celles projetées au fond.
  4. La clarté, qui met en balance les différences entre réflexions rapides et tardives des ondes sonores
  5. La sensation de proximité sonore, qui met, elle, en balance le son que l’on entend en direct avec les premières ondes réverbérées.
  6. La chaleur, qui nécessite des temps de réverbérations différents selon les hauteurs de son
  7. L’aptitude pour les musiciens à bien s’entendre sur scène, alors que tout est fait pour le son se projette vers le public.

4 références de salles de concert


Depuis la création des grandes masses de l’opéra ou du concert symphonique, les architectes ont répondu à la demande de taille croissante (plus de public dans la salle, plus de musiciens sur scène) en développant de nouvelles solutions techniques autour de 4 modèles de salles de concert :

  • Le théâtre à l’italienne. C’est la forme ronde de la plupart des théâtres et des opéras depuis le XVIIIième siècle, l’opéra Garnier à Paris par exemple. Elle a permis à la musique de sortir des salons des grands seigneurs. Outre le manque de visibilité de beaucoup de places, c’est une acoustique en général très discriminante : favorable à la voix beaucoup plus qu’aux instruments.

  • Les salles en « boîtes à chaussure ». Des salles plus longues que larges ont permis de diversifier les temps de réverbération. C’est la forme des trois salles « mythiques » du XIXième siècle, résidences de trois des plus grands orchestres du monde : le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw d’Amsterdam, le Symphony Hall à Boston. Mais l’expérience a montré que la capacité de telles salles est limitée à environ 1800 auditeurs pour préserver leurs qualités acoustiques.

  • Les salles « en éventail », sortes de théâtres antiques, entourés de murs et recouverts de toit, ont permis d’augmenter le nombre de fauteuils pour les porter à plus de 2000, voire même 3000. L’exemple le plus célèbre est celui du Festspielhaus de Bayreuth, c’est aussi le modèle de l’opéra Bastille à Paris. Si l’acoustique de Bayreuth a été un coup de maître du dit-on à la chance – une poutre de bois au-dessus de la fosse d’orchestre projetant l’ensemble des ondes sonores vers la salle-, celle de beaucoup de ces très grandes salles, à la très bonne visibilité, a dans les faits été souvent renforcée par des supports (plus ou moins discrets) d’amplification.

  • Les salles « en vignobles », où le public entoure les musiciens en étant disposé sur différentes « terrasses » ou balcons. C’est encore en Allemagne et par un nouveau coup de maître que cette disposition est mise en œuvre pour la première fois : la très justement fameuse Philharmonie de Berlin concilie la taille et le sentiment de proximité voire d’intimité du public par rapport aux musiciens.Et est devenue l’inspiration pour toutes les salles contemporaines, dont la nouvelle Philharmonie de Paris. (2)

3 enseignements opérationnels pour les équipes


Dans ces éléments techniques et historiques, j’entends trois enseignements pour la performance opérationnelle et l’intelligence collective :

  • Malgré de développement impressionnant des moyens techniques acoustiques – modèles mathématiques, logiciels informatiques de conception, de simulation, banques de données intégrant des critères de plus en plus nombreux et fins – et leur utilisation sans doute non négociable, la réussite d’une salle de concert n’est ni programmable à l’avance, ni reproductible en l’état, ni gagnée à l’avance. La nécessité de protéger la salle de la Philharmonie de Paris des vibrations colossales venues du périphérique voisin a été par exemple un facteur qui s’est imposé au même plan que le brief des concepteurs ou les idées créatives de l’architecte jean Nouvel. C’est toujours un pari risqué. Un travail d’adaptation depuis l’origine jusques aux nombreuses retouches après l’ouverture de la salle,à la recherche de solutions innovantes dans des domaines très divers : invention de nouveaux matériaux,jusques aux peintures et aux vernis, combinaison de ceux-ci, conception des fauteuils, pour n’en citer que quelques-uns….

  • La réussite est nécessairement le fait d’une collaboration entre des corps de métier extrêmement différents, aux logiques souvent opposées : architectes, acousticiens, mathématiciens, musiciens, spécialistes du béton, du bois, du tissu, de la peinture, du verre, du métal,... Aucun d’eux ne possède la solution inédite qui ne peut naître que de leur interaction.

  • La musique est exigeante et tenace : il y a toujours un lien entre un grand orchestre et une grande acoustique. En d’autres termes, cet extraordinaire exercice d’intelligence collective qui consiste à transformer une partition couchée sur le papier en un corps vibrant, émouvant et solide nécessite un cadre de travail propice. Cela nous rappelle que le rôle du leader n’est pas de jouer à la place des membres de son équipe, ni d’avoir tout seul les idées « fractures ». Ce sont les musiciens qui produisent le son et proposent les solutions de jeu avec savoir-faire et imagination. Pour cela il est nécessaire que le chef crée pour eux, de façon plus modeste et exigeante,les conditions de jeu.

Quelles sont les conditions d’intelligence collective nécessaires aux métiers de vos équipes ?

Article publié par Guy Perier, Chef d’orchestre / Team building § Leadership par la Musique : La Performance collective sur le blog www.team-building-musique.com

Si vous avez aimé cet article, vous aurez peut-être envie de lire :
1/ Leadership et Conduite de projet en mode Chef d'orchestre
2/ 6 Mots de la Musique pour le Team building et le Leadership

(1)Bertrand SCHMERBER in L'acoustique des salles de concert
(2)Idem


(Crédit photo : Philharmonie de Paris : maquette et concepteurs de l’acoustique de la Philharmonie de Paris)


Guy Perier

Chef d'orchestre § Orchestrateur de Leadership




Sur des enjeux de leadership ou de cohésion d’équipes, notamment multiculturelles, j’accompagne dirigeants et managers dans un double objectif : des performances individuelles et collectives plus généreuses.

Guy Perier

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